Tonnerre Sous Les Tropiques
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- Critique par Sébastien Le Gallo le 22 octobre 2008
Casualties of idiocy
En 1995, Ben Stiller réalisait Génération 90, l'histoire d'une jeune fille hésitant entre deux de ses prétendants, un rebelle anti-matérialiste et un yuppie de la télé.
Le premier long-métrage étant souvent réputé le plus personnel, il semble que c'est entre ses deux pôles que se situe Ben Stiller, capable d'être à la fois l'un des rois de la comédie US biberonné à MTV et de livrer une critique sur le long terme du show business et de l'abrutissement des masses. Entre deux rives, à la fois fasciné et révulsé par tout ça, il va aujourd'hui jusqu'à vendre la boisson fictive de Tonnerre Sous Les Tropiques, "Booty Sweat ". Oui vous avez bien lu, il fait boire de la "sueur de cul" aux gens !
Né de parents comédiens, l'acteur-réalisateur a toujours baigné dans le monde du show-business. Avouant lui-même ne pas avoir eu une enfance normale à cause de ça, Stiller n'a fait depuis le début de sa carrière que s'en prendre au monde du spectacle et à son influence. Que ce soit le sport avec Les Rois Du Patin et Dodgeball, la mode avec Zoolander, la télé avec le quasi-dépressif Disjoncté et même la musique avec un de ses premiers courts-métrages, Elvis Stories.
En fait, seul le cinéma n'était pas encore vraiment passé à la casserole, sinon au détour de sketchs du Ben Stiller Show ou du fameux Mission: Improbable (ou on pouvait encore sentir ce mélange de fascination et de moquerie pour la pop culture). Tel est donc l'objectif de Tonnerre Sous Les Tropiques : loin de la simple parodie d'un genre, il s'agit ici surtout de prendre pour prétexte la réalisation d'un film de guerre pour dézinguer à la sulfateuse le petit monde du cinéma. Entre l'acteur de la méthode qui se teint la peau en noir et ne sort de son personnage qu'après les bonus DVD (mais qui n'a pas lu le scénario !), la star du rap macho mais homo, l'acteur comique junky, le rôle principal obsédé par l'Oscar, le quota geek très informé sur le Blu-ray, le réalisateur qui pique sa crise, l'exécutif du studio plus effrayant que le cartel de la drogue, le pro des SFX shooté aux explosions... Tout le monde en prend pour son grade.
En exergue du film, d'hilarantes fausses bandes-annonces, fond de commerce de Stiller au temps de son émission de télé, forment une excellente séquence d'exposition. Ici encore, tout le cinéma américain passe au napalm, quel que soit le genre. Partant du principe que "It's funny because it's true", tous les clichés sont joyeusement ridiculisés. Que ce soit le film d'action débile à suites injustifiées, le film "indépendant produit par la Fox" sur l'homosexualité, la comédie grasse à la Eddie Murphy ou le film à Oscars avec un handicapé... En plus de ces parodies, de nombreuses références cinématographiques parsèment le film. Références aux films de guerre évidemment, mais on retiendra surtout un joli hommage à Spielberg (Stiller a paraît-il eu l'idée de Tonnerre sur le tournage de L'Empire Du Soleil, dans lequel il avait un petit rôle). La montagne de Rencontres Du Troisième Type devient ici une montagne d'héroïne, renvoyant à un aspect méconnu du chef d'oeuvre de Spielby : la dépendance... qui vient illustrer en beauté le problème du personnage de Jack Black.
Et quoi de mieux pour un film sur des acteurs aux égos surdimensionnés qu'une apparition du pote de Ben Stiller, Tom Cruise, dans le rôle de l'exécutif psychopathe ? A une époque où il est de bon ton de profiter que ce dernier soit dans le creux de la vague pour s'y mettre à plusieurs et cogner, on peut qualifier ce choix de casting carrément rock'n'roll. Méconnaissable avant qu'il ne retire ses lunettes à la fin du film, ses talents d'acteurs passent ici devant sa célébrité et ferment le clapet une bonne fois pour toutes à ses détracteurs, qui, les yeux rivés sur les tabloïds, ont probablement oublié son CV hallucinant (comportant une série de noms pas très connus comme Spielberg, Stone, Coppola, De Palma, Scorsese ou Kubrick). Une belle manière de rappeler que malgré le fait que le showbiz peut rendre les gens pratiquement fous, ce qui reste au bout du compte, c'est le talent.
Tout comme Zoolander, Tonnerre Sous Les Tropiques peint un monde d'idiots avec des modèles médiatiques à leur image. Outre les pubs débilissimes pour la boisson citée plus haut, la fascination du public pour les personnages d'handicapés mentaux, les reportages people bourrés d'images mais complètement creux, on retrouve sans surprise le personnage habituel de Stiller. Globalement le même que dans son précédent film, c'est à dire complètement crétin mais presque attachant de naïveté. Un personnage capable, en pleine jungle sous la pluie tropicale, de regarder un épisode de Star Trek (série dont Stiller est grand fan) sur son Ipod ! Un personnage d'enfant attardé qui finira par jeter sans ménagement un môme à la flotte pendant le climax du film, une idée peut-être pas si gratuite qu'elle en a l'air. En tous cas, on ne s'étonnera pas si pour écrire son histoire, Ben Stiller soit allé chercher Etan Cohen, collaborateur de Mike Judge et co-scénariste de Idiocracy, film à la thématique très similaire.
En cultivant ce paradoxe fascination / répulsion pour la sous-culture moderne et la régression, Ben Stiller conforte son statut d'artiste iconoclaste. Il livre avec Tonnerre Sous Les Tropiques un film vraiment drôle qui s'avère être en plus de ça une critique acerbe du monde du cinéma. Il élargit ainsi sa fresque subversive sur la décadence du monde moderne vu à travers le prisme du monde du spectacle. Décidément, après Rien Que Pour Vos Cheveux il y a quelques semaines, l'humour américain vit en ce moment ses plus belles heures, alors profitons-en et pourvu que ça dure !
Avant de nous quitter, voici une nouvelle mise en abyme qui, cette fois en quatre minutes, se fout ouvertement de la gueule des méthodes marketing, des ados blasés et de la quête effrénée de sensationnalisme des vidéos sur le web. Et bien sûr ne manquez pas la fausse bande annonce du faux making-of du faux film dans le faux making-of.
TROPIC THUNDER
Réalisateur : Ben Stiller
Scénario : Ben Stiller, Justin Theroux & Etan Cohen
Production : Stuart Cornfeld, Matt Eppedio, Eric McLeod, Ben Stiller, Brian Taylor, Justin Theroux
Photo : John Toll
Montage : Greg Hayden
Bande originale : Theodore Shapiro
Origine : USA
Durée : 1h48
Sortie française : 15 octobre 2008