Mad Detective

L'aventure intérieure

Affiche Mad Detective

Dans la vie, il ne faut pas se décourager. Ouais, ben je vous mets au défi de parvenir à voir un film de Johnnie TO dans un cinéma en France sans risquer le pétage de plomb ! Ça tombe bien, il est justement question d’aliénation dans Mad Detective…


Alors que la cinémathèque française lui a rendu hommage du 5 mars au 11 avril 2008, fort de 43 films, Johnnie To reste pourtant un inconnu du grand public. La quasi invisibilité de ses oeuvres obligent les connaisseurs et les fans à un véritable parcours du combattant pour les voir dans de bonnes conditions.
Il est étonnant que ce réalisateur n'ait pu trouver la place qu'il mérite en France, lui si féru de Jean-Pierre Melville (dont il désirait un temps donner sa vision du Samouraï et du Cercle Rouge) et dont il partage certains des signes distinctifs : l'amitié virile, la dignité des truands d'autrefois, le rôle relativement secondaire de l'érotisme et de la femme dans la vie des hommes... Autant de thèmes majeurs communs. Surtout, To est le maître actuel du polar hong-kongais, de par sa mainmise tant économique (via sa boîte de prod Milkyway Image) qu'artistique (depuis l'exil des John Woo, Tsui Hark et Ringo Lam). Et tandis que le moindre film d’action pétaradant avec deux stars américaines bénéficie d’une large exposition, les distributeurs français snobent les polars ludiques, violents, virtuoses et réflexifs de Johnnie To.
Certains lui reprochent justement cette virtuosité parfois ostentatoire masquant la vacuité de l'intrigue, simple prétexte aux expérimentations formelles les plus folles et les plus géniales (Running Out Of Time, PTU, l'ouverture de Breaking News...). Une intrigue parfois réduite à sa plus simple expression mais s'autorisant ainsi différents régimes de réalisation pour dérouler sa narration. Des explosions de violence à des moments plus intimiste ou comiques, l'ironie n'est jamais loin et infuse toute son oeuvre. Le diptyque Election marquait déjà une rupture dans sa façon d'aborder le genre. Plus politique, plus sérieuse mais tout autant malicieuse. Avec Mad Detective il s'oriente résolument vers des nouvelles contrées inexplorées. Retrouvant Wai Ka-Fai, son co-réalisateur de Running On Karma, Fulltime Killer et co-fondateur de Milkyway, To se range pour une fois à une autre vision que la sienne puisque Mad Detective est l'occasion de mettre le polar à l'épreuve du fantastique. Comme pour leurs précédentes collaborations, Wai Ka-Fai signe le scénario.

Mad Detective

Tandis qu'il patauge dans une enquête difficile impliquant la disparition d'un collègue et l'utilisation de son arme dans une série de braquages sanglants, l'inspecteur Ho se décide à demander de l'aide à son ancien supérieur, Bun, pour lequel il a toujours eût le plus grand respect. A la retraite forcée à cause des méthodes peu orthodoxes qu'il utilisait pour résoudre ses enquêtes, lui ayant coûté sa santé mentale, Bun reprend alors rapidement du service, mais non sans éveiller un doute certain chez Ho, déclarant qu'il a la capacité de voir la ou les personnalités cachées des gens... Tout le métrage va donc s’articuler autour de ce personnage lunaire, à la fois comique et tragique qu’est l’inspecteur Bun. Une sorte de profiler de l’extrême qui n’hésite pas pour trouver les coupables de crimes à s’infliger les traumatismes subis par les victimes, toujours prêt à dévaler un escalier enfermé dans une valise ou être enterré vivant.
Malgré ses succès, Bun est considéré comme un doux dingue. Pire, sa santé mentale sera remise en question par son ancien subalterne qui lui voue pourtant une admiration sans bornes, Bun affirmant avoir le don de voir les différentes facettes des personnalités des gens. Le duo de réalisateurs relevant le défi de nous convaincre de la réalité palpable de l’univers mental de Bun. Autrement dit : concilier le monde réel et ses visions. Et pour ce faire faire, To et Ka-Fai optent pour un même traitement formel. Pas de filtres, de déformation de l’image ou autre subterfuge pour signaler l’apparition des personnalités. Envisager de la même manière la réalité et les apparitions instaure une proximité avec l’inspecteur Bun. Le spectateur voit la même chose que lui. Créant un lien et de l’empathie pour ce personnage persuadé de vivre toujours avec sa femme alors qu’elle l’a quitté depuis longtemps.
Surtout, la perception du monde complètement biaisée du personnage ira jusqu’à soumettre la fiction elle-même. Illustration dans une séquence absolument magistrale où Bun reproduit le parcours meurtrier du braqueur. Débutant dans la rue de façon comique, Bun tire avec ses doigts en forme de pistolet sur trois convoyeurs de fonds décontenancés, elle se poursuit dans un restaurant et l’ambiance devient plus menaçante avec l’alternance de plans du présent et du passé dans de parfaits raccords, pour se conclure dans la supérette adjacente, toujours avec la même alternance, lorsque le détective braque la caissière avec ses doigts tandis que dans le passé, l’homme masqué la tue au "même moment". Une indiscernabilité qui est le lot quotidien de Bun. Et dont il s’accommode plutôt bien puisqu’elle lui permet d’avoir toujours sa femme à ses côtés. Ou plutôt la représentation de sa propre personnalité dissimulée.Formellement maîtrisé, Mad Detective sait également se montrer touchant (la scène du dîner au restaurant où Bun et Ho sont accompagnés de leur "femme" respective) et parvient à croiser deux récits (l’intrigue purement policière et l’inclassable enquête de Bun), deux genres (le polar et le fantastique), deux visions (To et Ka-Fai) qui finiront par s’entremêler et se réunir dans un final explosif et référentiel, digne des plus grand polars hong-kongais.

Mad Detective
 

Tournant plus vite que son ombre essentiellement des polars urbains, Johnnie To parvient à chaque fois à se renouveler. Cette fois-ci ce n’est plus par la seule grâce de son talent mais l’adjonction de la dimension surnaturelle apportée au récit par son acolyte Wai Ka-Fai. Mais si Mad Detective semble marquer un nouveau tournant dans la carrière de To, c’est moins par l’intrusion de ce nouveau registre narratif que par l’importance prise par les figures féminines.


OU SONT LES FEMMES ?
Habituellement anecdotique, toute présence féminine est au mieux un enjeu narratif (The Mission), au pire due au hasard (Si son Héroïc Trio était composé de femmes c’était seulement parce qu’elles étaient meilleurs marché que des acteurs masculins !) ou simple ressort comique (Andy Lau travesti en femme dans le final de Running Out Of Time) Or, ici c’est sciemment que To multiplie les personnages féminins. Après avoir structuré ses films autour de rivalités et confrontations masculines, il est temps pour le mogul d’en explorer le versant féminin. Ce n’est pas du tout ironique si dans Mad Detective les femmes sont essentiellement présentes sous la forme des personnalités cachées des différents protagonistes, qu’ils soient hommes ou femmes. Bien au contraire puisque celles-ci s’affirment comme ayant le plus fort tempérament. Ce sont elles les voix de la raison, elles qui prennent les choses en mains quand tout dérape, elles enfin qui rassurent chaque petit garçon apeuré se dissimulant en chacun de nous. Présentes depuis le début, ces voix féminines révélées par le don d’un inspecteur passablement allumé, s’accaparent peu à peu le récit. Désormais, il faudra compter avec elles. Et le dernier film de To, Sparrow, semble confirmer cette nouvelle tendance, l’intrigue étant entièrement articulée autour d’une pickpocket dont tombe amoureux quatre bandits et qui leur fera tourner la tête et chavirer le cœur.
Avec Mad Detective, une fois encore, Johnnie To renouvelle l’exploit de l’originalité formelle dans un genre particulièrement balisé. Malheureusement, l’ensemble de ses œuvres demeurent inconnues ou presque. Faudra-t’il, pour que cela change, qu’il signe un remake hollywoodien d’un de ses films ou qu’il consente à tourner un film d’action pourri avec un has-been en tête d’affiche ?

7/10
SUN TAAM
Réalisateur : Johnnie To & Waï Ka-Faï
Scénario : Waï Ka-Faï & Au Kin-Yee
Production : Johnnie To, Waï Ka-Faï, Tiffany Chen...
Photo : Cheng Siu-Keung
Montage : Tina Baz
Bande originale : Xavier Jamaux
Origine : Hong-Kong
Durée : 1h29
Sortie française : 05 mars 2008




   

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