Le Livre D'Eli

Foi sans issue

Affiche Le Livre d'Eli

Inexplicablement, le nouveau film des frères Hughes se voit taxé de bondieuserie insupportable à cause de la spiritualité affirmée de son personnage principal. Un mysticisme de soi-disant mauvais aloi qui transformerait la quête d’un homme en parcours messianique. Bon Dieu, mais ce formidable western post-apocalyptique mâtiné de road-movie et de comic-book est pourtant très loin de prôner une croyance salutaire.


Décidemment, les films contant la fin du monde ont le vent en poupe. On se croirait presque revenu une décennie en arrière lorsque le passage à l’an 2000 avait suscité une peur millénariste exploitée jusqu’à la lie (La Fin Des Temps). Tandis que ces films exprimaient la crainte d’un bouleversement radical une fois basculé dans le nouveau siècle, les récentes productions telles que 2012, The Road, Avatar (la Terre à l’agonie nécessite l’extraction du précieux minerai de Pandora) et ici Le Livre D’Eli intiment plus volontiers à opérer des changements drastiques dans nos comportements sociaux et privilégier l’ouverture d’esprit et la préservation de connaissances. Soit une humanité au bord du gouffre dont la survie est conditionnée à des valeurs humanistes de partage et d’amour de son prochain. Et le partage des pains dans la gueule, Eli s’y emploie avec énergie ! Ce personnage à l’accoutrement paramilitaire et aux postures diablement iconiques traverse de part en part, direction la côte Ouest, les Etats-Unis avec pour farouche mission de porter à bon port un mystérieux livre, objet des convoitises de Carnegie (Gary Oldman), maître d’une ville délabrée.


ON THE ROAD AGAIN
Dans ce paysage de désolation au sens propre (tout n’est que ruines ou bâtisses brinquebalantes) et figurée (suprématie des instincts primaires), de couleur cendre et baigné d’une lumière aveuglante, la moindre trace d’humanité  est aussi précieuse que l’eau se faisant rare. Etrangement, le monde dépeint dans le film évoque des similitudes esthétiques saisissantes avec The Road de John Hillcoat sorti quelques mois plus tôt, comme si on se trouvait en présence de deux adaptations du même roman de Cormack McCarthy. Cependant, les frères Hugues empruntent leur propre voie et livrent des images d’une beauté et d’une puissance incroyables. Avant tout développement thématique, il s’agit pour eux de raconter une bonne histoire et construire un monde crédible puisant à diverses sources créatrices. Si on pense inévitablement à Mad Max 2, on retrouve des éléments propres au western (voyage vers l’Ouest, confrontation dans la grand rue de la ville, entrée dans le saloon…) définissant le retour à une sauvagerie primaire voire primordiale accentuée par les bandes de barbares ou les cannibales rencontrés le long du chemin.

Le périple d’Eli sera ainsi ponctué de confrontations violentes avec cet environnement agressif, ce qui donnera lieu à de superbes combats, entre celui à contre-jour sous un tunnel ou cet autre dans un bar que les mouvements circulaires de la caméra transforment en arène ou encore cette séquence montrant le siège assourdissant de la maison où s’est réfugié Eli. Des luttes formellement marquées(Franck Miller, Zatoïchi, western, films d’action) qui, aussi excitantes soient-elles, permettent avant tout de définir le personnage principal qui nous apparaît comme un survivant déterminé et impitoyable, bien qu’ayant une mission précise et suivant une route toute tracée, semble s’être égaré. En effet, après avoir occis, à coups de son énorme machette, un groupe d’hommes cherchant à le dépouiller, il ne portera pas secours  à un couple attaqué par un gang de motards en contrebas de l’endroit où il s’est dissimulé, psalmodiant "Ne te détourne pas de ta route, cela ne te regarde pas". Cette ambiguïté voire même cette ambivalence, Allen et Albert Hughes vont la cultiver et l’accentuer  en faisant de leur "héros" un homme habité par la foi, quidé par une voix (celle de Dieu, émanant de son I-Pod, la sienne ?) et charriant dans son sac à dos le dernier exemplaire de la Bible du roi James afin de la mettre en lieu sûr.

Le Livre d'Eli
 


HOMME SANS PEUR (attention spoilers inside !)
Un personnage qui va cristalliser le malaise ressenti face à un prosélytisme fantasmé par certains presque aussi aveugles que Eli. La révélation finale de son handicap physique vendu par la production comme un twist n’en est pas vraiment un. Un coup de théâtre qui semble redéfinir à priori ses actions sous l’angle du surnaturel (le gunfight en pleine rue et la précision des tirs d’Eli, il tue d’une flèche un oiseau en plein vol, etc…) comme guidées par une main invisible alors qu’à postériori, il éclaire plutôt la subtilité de la réalisation des frangins qui ont disséminés un nombre conséquent de signes qui auraient dus nous mettre sur la voie. Dans la fratrie des réalisateurs, l’un s’occupe plus précisément de la composition des cadres quand l’autre défini l’ambiance sonore. Le Livre D’Eli est ainsi sans conteste leur film qui utilise et illustre au mieux leur complémentarité puisque chaque action d’Eli est précédée d’un son lui permettant de délimiter l’endroit où se trouve sa cible. Le miaulement du chat dans la scène d’ouverture, la voix du bandit de grand chemin qui pose ses mains (avant de les perdre !) sur son torse, le bruit des pas d’un homme de main de Carnegie traversant la rue en courant (on le voit baisser et tourner la tête de profil en signe d’écoute), le battement d’ailes d’un oiseau… Certes, les combats rapprochés traduisent des capacités hors-normes mais on a plutôt affaire à une sorte de Daredevil qu’à un fou de Dieu obéissant à des ordres venus d’en haut. D’ailleurs, nous n’entendrons jamais cette voix, laissant planer le doute sur la santé mentale d’Eli.

Et quand bien même la foi d’Eli, comme sa lecture des Ecritures, est circonscrite à sa sphère privée (il lit à voix basse et lorsqu’il est seul, il ne prêche pas – on peut même dire qu’il pêche – et ne tente pas de convaincre les autres des vertus de la parole de Dieu) et carctérise avant tout son personnage, on reproche au film un sous-texte religieux et bigot. Parce que Eli joint ses mains à celles de Solara, la fille de son ennemi, pour prier ? Mais ce n’est pourtant pas une invitation à croire, Eli ne fait que partager sa spiritualité  et lui montre un chemin, une voie qu’elle sera libre d’emprunter ou pas. Car si elle le suit physiquement, il ne faut pas oublier qu’in fine, elle s’en retournera vers chez elle adoptant certes la défroque du voyageur mais pas vraiment ce qui l’animait, se détournant (pour un temps ?) de la connaissance et préférant s’affubler du coutelas de Eli. Une foi qu’Eli définit à Solara en citant les paroles d’une chanson de Johnny Cash. On est quand même loin du bourrage de crâne. De même, Eli reconnaît son propre aveuglement métaphorique en avouant s’être détourné de l’enseignement prodigué par sa lecture quotidienne ("Donne aux autres plus qu’à toi-même"). Pas vraiment ce que l’on peut définir comme la figuration d’un prophète.

Mais peut être que les Hughes n’ont pas assez insisté sur la volonté d’asservissement des masses par les mots qu’espère Carnegie. La puissance du Verbe qu’Eli neutralise en lisant pour soi. On ne connaît pas l’origine de la catastrophe (nucléaire ? religieuse ?) mais les hommes (en signe de contrition ?) ont jugés utiles de brûler tous les écrits religieux. Pourtant, ce ne sont pas les métaphores et allégories contenues dans la Bible, Torah ou le Coran qu sont néfastes mais bien leur usage et leur interprétation.

Le Livre d'Eli
 

Tandis que la foi est une question de signes et symboles à percevoir puis décrypter, les Hughes agissent de même avec leur film (les indices sur la nature du Livre, sur le handicap d’Eli) qui s’avère une ode à la connaissance. Et en matière de force symbolique, difficile de faire plus parlant que conclure l’aventure à San-Francisco considérée dans les années 70 à l'avant-garde de l'émancipation des minorités et des droits civiques (le programme des Black Panthers, "Free Breakfast for Children Program ", contreculture hippie, berceau du mouvement beatnik, emblème de la lutte pour les droits civiques des homosexuels…). Plus précisément, le film se conclut dans la prison d’Alcatraz reconvertie en sanctuaire de la connaissance puisqu’y sont rassemblés les vestiges d’une vie culturelle, scientifique et cultuelle en lambeaux. Un site qui à l’origine était un phare et qui ainsi retrouve cette fonction désormais parabolique. La Bible qui trouve naturellement sa place entre la Torah et le Coran, trois ouvrages traversés par les pérégrinations du prophète Eli.

Mais plutôt que de se focaliser sur l’expression finale de son inextinguible foi, il est plus intéressant et sans doute pertinent de considérer le personnage d’Eli comme le prolongement de celui interprété par Samuel L. Jackson dans Pulp Fiction. Jules Winfield récitant un verset de la Bible avant chaque exécution de contrat (Eli citant un passage avant son combat dans le bar) qui après avoir miraculeusement échappé à un canardage en règle à bout portant (les balles semblant éviter Eli), cherchera la rédemption et émettra le souhait de traverser le pays à la manière de David Caradine dans la série Kung-Fu (Eli parcourt le pays depuis trente ans). Mais c’est Eli qui aboutira finalement et adoptera une tenue en rapport à son accomplissement spirituel tandis que Jules ne pourra se vêtir que d’un ensemble digne d’un joueur de beach volley.

7/10
THE BOOK OF ELI
Réalisateurs : Albert & Allen Hughes
Scénario : Gary Whitta
Producteurs : Joel Silver, David Valdes, Denzel Washington, Richard D. Zanuck…
Photo : Don Burgess
Montage : Cindy Mollo
Bande originale  : Atticus Ross, Leopold Ross, Claudia Sarne
Origine : Etats-Unis
Durée : 1h58
Sortie française : 20 janvier 2010




   

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