Harry Potter Et Les Reliques De La Mort - Partie 1
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- Critique par Nicolas Marceau le 12 décembre 2010
Camping 3
Après un sixième épisode plus occupé à nous narrer les histoires de fesses de ses jeunes héros qu’à poser les bases fondamentales de la quête initiatique à venir, voilà que débarque enfin le dernier volet de la saga littéraire initiée par J.K. Rowling.
Vous espériez payer votre ticket dans l’espoir de voir enfin mourir le binoclard ? Perdu, il faudra pour cela attendre le mois de juillet, date de sortie du huitième et dernier film de la lucrative série Harry Potter.
Car si la Warner s’est déjà faite un paquet d’oseille sur le dos du petit sorcier, il eut été dommage de ne pas traire la vache jusqu’à la dernière goutte en scindant le dernier roman en deux films (donc doubles bénéfices). Les Reliques De La Mort devient ainsi un diptyque, décision a priori commerciale mais qui se révèlent étonnamment être une bonne surprise d’un point de vue artistique. Car oui, c’est certainement la chose la plus improbable qui pouvait arriver : ce septième chapitre est un bon film. Et ce n’est pas forcément pour les raisons qu’on pourrait croire…
Entendons-nous bien : la franchise Harry Potter a toujours souffert d’un travail d’adaptation proprement catastrophique, ne parvenant que trop rarement à donner corps à un univers réellement complexe nourri d’enjeux mythologiques et de personnages secondaires ambigus. S’il était évidemment impossible de préserver au cinéma la totalité des intrigues mises en place par Rowling, certaines décisions du scénariste Steve Kloves n’en demeuraient pas moins parfaitement absurdes tant elles passaient à la trappe des éléments narratifs passionnants (le passé de Rogue, l’enfance de Voldemort, l’Ordre du Phénix...) au profit de digressions parfaitement anecdotiques (des amourettes livrées par palettes entières). Le summum du n’importe quoi fut atteint avec Le Prince De Sang-Mêlé, gros hors-sujet de 2h30 laissant craindre le pire pour la conclusion de cette aventure foisonnante.
Et la première bobine des Reliques De La Mort confirme toutes les craintes qu’on pouvait avoir. Faute d’avoir mis en place certaines données essentielles à la compréhension des évènements à venir, il sera parfaitement impossible pour quiconque n’a jamais lu les livres de comprendre ce qui se passe à l’écran. Nous ne saurons jamais ce qui a motivé Voldemort à attaquer si tardivement Harry Potter dans sa petite banlieue de Privet Drive, nous assistons à un mariage dont nous n’avons strictement rien à foutre (faute de nous avoir présenté le couple au centre de la cérémonie) et la mort d’un personnage présent depuis La Coupe De Feu se déroulera hors champ, dans une indifférence générale. On survole les évènements du livre, comme si Steve Kloves était soudain pris par le temps, s’apercevant du merdier scénaristique dans lequel il s’est empêtré tout seul.
L’auteur fait d’ailleurs aveux d’échec au détour de deux séquences parfaitement révélatrices de son incompétence. La première prend place au début du chapitre dit des "Sept Potter". Alors qu’une galerie de seconds rôles sous-exploités depuis trois films débarque à la queue leu leu, l’un d’eux, la jolie Tonk, s’apprête à faire une heureuse annonce (elle attend un enfant de Lupin). Mais voilà que débarque l’impressionnant Maugrey Fol-Œil qui lui ordonne violemment de se taire car "nous avons perdu assez de temps comme ça". Nous ne saurons jamais ce qu’elle s’apprêtait à révéler. Merci d’avoir participé, bonne continuation pour la suite. Une autre réplique, tout aussi cynique, sera lâchée par Hermione lors de la première fuite dans les rues de Londres : alors que l’âge d’Harry était une donnée fondamentale chez Rowling (il est sous la protection magique des Dudley jusqu’à ses 17 ans, ce qui explique qu’il y reste jusqu’à cette date), la jeune sorcière s’excusera d’avoir "complètement oublié l’anniversaire d’Harry". Un comble.
Si ce démarrage poussif condense en vingt minutes toutes les tares narratives de la franchise Harry Potter au cinéma, la suite change heureusement la donne. Car en scindant Les Reliques De La Mort en deux volets, les décisionnaires condamnaient la première partie à n’être qu’une longue introspection de ses personnages principaux. Et pour cause : pendant plus de la moitié du roman, Rowling nous narrait la fuite en avant de son jeune trio totalement perdu, coupé du monde de la magie et incapable de donner une direction à leur mission. Une perte de repère totale (déracinement de Poudlard, destination floue, fuite perpétuelle à l’approche du danger, succession de rencontres se soldant par des échecs et de nouvelles fuites) qui trouvait son contre-point dans un deuxième acte plus dynamique, l’objet de la Quête se précisant au fur et à mesure (les cachettes des fameuses horcruxes, l’acceptation de la mort).
Et c’est justement parce que la première partie des Reliques De La Mort traite presque exclusivement des errements d’Harry, Ron et Hermione que le film marque des points. Car débarrassé de toute cette batterie de seconds rôles encombrants (et mal servis par l'écriture de Kloves), soulagé de tout cet univers complexe à mettre en place, il ne reste plus que l’essentiel, le cœur émotionnel : trois adolescents rongés par le doute et l’incertitude. Dans le fond, ils sont les seuls à avoir été correctement développés au fil des précédents métrages, de la loyauté et l’intelligence d’Hermione aux lourdes responsabilités d’Elu endossées par Harry en passant par le complexe d’infériorité de Ron. Dépourvus de référents adultes sur lesquels compter, ils sont livrés à eux-même. Le joli prologue du film annonce la couleur (dépressive) de circonstance : tandis qu’Harry dit au revoir à l’enfant qu’il a été (symbolisé par le placard dans lequel il a grandit), Ron observe le crépuscule en tournant le dos à sa famille, tandis qu’Hermione fait le choix déchirant d’effacer sa présence de l’esprit de ses parents, dans le seul but de les protéger.
Ce dépouillement narratif n’est pas seulement profitable au scénario, qui prend désormais le temps de dévoiler ses enjeux et ses tensions une fois le trio vedette en cavale. Il est également nettement plus approprié au style visuel de David Yates. Car si le réalisateur s’est retrouvé aux commandes de la saga depuis le cinquième épisode, on ne peut pas franchement dire qu’il avait su jusque là conférer à l’univers de Poudlard toute la magie qu’il méritait. Depuis L’Ordre Du Phénix, les couloirs du château paraissent étrangement vides, débarrassés de tout fantôme errant, de tout tableau animés et de tout ciel enchanté dans la salle des banquets. Les créatures féeriques auront rarement été aussi peu mises en valeurs (comparez le vol enchanteur sur hyppogriffe dans Le Prisonnier D’Azkaban et la banalité des sombrals dans L’Ordre Du Phénix, ou bien encore la représentation des Détraqueurs dans ces deux films), les morceaux de bravoures sont aux abonnés absents (hormis un court combat Voldemort / Dumbledore au Ministère de la Magie, pas grand chose à se mettre sous la dent) et tout ce qui pouvait apporter un souffle lyrique et épique a été soigneusement mis de côté (les géants que doit aller chercher Hagrid, l’apparition des centaures, l’enterrement poétique de Dumbledore, la bataille de Poudlard…).
David Yates n’aime clairement pas les effets spéciaux et n’y a recours que lorsqu’il n’a plus le choix, se contentant la plupart du temps d’effets "merveilleux" disséminés ici et là sans grande conviction. Mais ce manque de vie et de magie (qui pouvait à la rigueur faire illusion dans L’Ordre Du Phénix puisqu’il était question de privation et de contrôle) est justement ce qui permet à cette première partie des Reliques De La Mort de marquer des points. Car avec ses décors réalistes, sa lumière froide et son absence de lien direct avec le monde de la sorcellerie, cette étape du voyage concoctée par Rowling se prêtait assez bien à l’imaginaire dépourvu d’imagination de Yates. Ce n’est certes pas le réalisateur qui s‘est adapté au style du récit, c’est juste le récit qui se prêtait assez bien au style du réalisateur.
Sans grosse surprise, la première scène d’action est incroyablement nulle, mal filmée, trop courte et situant l’essentiel de l’action hors champ. On pourra légitimement râler sur l’attaque des Mangemorts durant la cérémonie de mariage, littéralement giclée en trois plans tremblotants. Par pudeur, nous passerons sous silence la course-poursuite en forêt tournée en mode Paul Greengrass, et donc totalement illisible. De toute évidence, Yates n'est pas particulièrement inspiré par la fantasy. En revanche, filmer l’introspection de trois adolescents sous une tente, il kiffe ça, indéniablement. Poser une ambiance lourde, laisser parler le désarroi de ses protagonistes, filmer de grandes étendues désertiques, il sait faire. Pas de machin magique qui vole dans le cadre, le minimum syndical en terme de numérique, de longues plages de silence, un décors réaliste…
Le climat devient alors réellement pesant, la photo ténébreuse du film ne donnant plus l’impression, contrairement au Prince De Sang-Mêlé, que le chef op s’est contenté d’éteindre la lumière pour faire sombre. D’une longue liste de mort énumérée à la radio sur des images d’étendues désertiques jusqu’au malsain passage à Godric’s Hollow (où Harry, en quête de repères parentaux, frôle la mort), la tension est palpable, lente et froide. Et si la violence physique a été sensiblement atténuée par rapport au livre (la torture d’Hermione expédiée, la blessure grave de George Weasley devient superficielle), l’horreur psychologique répond bien présente. On pense notamment à la longue marche de Frodon dans Le Seigneur Des Anneaux, nos jeunes héros étant confrontés à leur tour à un objet maléfique pendouillant au bout d’une chaîne trop lourde. Une des plus belle scène du film confrontera d’ailleurs directement Ron à ses angoisses les plus profondes, au détour d’une séquence horrifique convoquant l’aura maléfique de Sauron à la masse noire démesurée du symbiote de Spider-Man 3.  Â
Il y a un an et demi, au moment du tournage des Reliques De La Mort, David Yates avait fait cette annonce : "La première partie du film sera un road movie intense et brut. Nous sommes très loin de Poudlard et il s’agit rien de moins que trois réfugiés poursuivis par les Mangemorts". Pour le coup, il ne nous a pas menti. A tous ceux venus chercher leur lot d’aventures fantastiques pour toute la famille, il vaudra mieux se tourner vers la toujours aussi nulle franchise des Narnia, dont le troisième chapitre vient de débarquer au même moment dans les salles. Quand aux fans qui espèrent assister à la conclusion épique promise par les différentes bande-annonces, il faudra patienter jusqu’en juillet prochain, avec un film que Yates promet être "un grand opéra, avec des batailles dantesques". Vu qu’il faudra enfin résoudre les arcs narratifs mis en place n’importe comment et proposer enfin un univers magique plein de bruit et de fureur, on peut douter de la réussite de l’entreprise.
Reste une séquence somptueuse de poésie gothique perdue au milieu de ce premier acte très terre-à -terre. Une séquence narrant l’origine des fameuses reliques de la mort et animée avec délicatesse par le suisse Ben Hibon. Une séquence qui justifie à elle seule le déplacement en salle, transformant ce long épisode un peu à part en jolie annonce d’un climax flamboyant. Des promesses, sans doute, mais quelles belles promesses !
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HARRY POTTER AND THE DEATHLY HALLOWS
Réalisateur : David Yates
Scénario : Steve Kloves, d'après le roman de J.K. Rowling
Production : David Heyman, David Baron & J.K. Rowling
Photo : Eduardo Serra
Montage : Mark Day
Bande Originale : Alexandre Desplat
Origine : USA
Durée : 2h25
Sortie française : 24 novembre 2010