Harry Brown

La loi du juste milieu

Affiche Harry Brown

Comment régler les problèmes d’insécurité ? Que faire de nos retraités ? A ces questions, le film de Daniel Barber, Harry Brown, propose de faire coup double puisqu’il montre un vieux monsieur se charger de la racaille de son quartier en les truffant de plomb !


Par sa sécheresse de traitement et de sentiments, le premier film de Daniel Barber dissipe instantanément la torpeur des dernières semaines ciné particulièrement léthargiques. Un vigilante flick habité par une Micahel Caine impérial - pendant anglais de monsieur Eastwood, son âge avancé n’altérant pas son charisme, bien au contraire - qui aura mis un certain temps pour nous parvenir. Sorti il y a plus de deux ans outre-manche, Harry Brown débarque enfin dans les salles obscures françaises alors que le film est depuis belle lurette disponible en DVD et Blu-ray britannique ou téléchargement. Une exploitation tardive que nous déplorons, bien évidemment, une fois de plus (quitte à passer pour des pleureuses. Mais venant des Morandini du 7ème Art, cela ne devrait pas trop étonner). Malheureusement, les cinéphiles commencent à être habitués à ce genre de maltraitement qui tend à s’aggraver. Après les sacrifiés Scott Pilgrim et All The Boys Love Mandy Lane, deux autres films, et pas des moindres, subissent l’avanie du marché puisqu’à l’heure actuelle, The Hole de Joe Dante (datant de 2009) et surtout le prochain Carpenter (!), The Ward, n’ont toujours pas de date de sortie ! Un comble, surtout si l’on considère que The Hole est en 3D… Sans vouloir être aussi extrême que Harry Brown, les distributeurs mériteraient parfois des coups de pieds bien placés.

Pourquoi une telle sortie différée ? La question de la violence dans les banlieues, les quartiers dortoirs, est-elle spécifique et plus sensible en France qu’ailleurs ? Pourtant, les Britanniques n’hésitent pas à examiner frontalement, par le biais d’images cinématographiques, leurs dérèglements sociétaux et l’usage de la violence (à des fins politiques ou non), ne serait-ce qu’au travers de fictions ayant trait à l’occupation de l’Irlande du Nord (Au Nom Du Père, Bloody Sunday, Hunger), au phénomène du hooliganisme (Hooligans, Football Factory), ou une jeunesse violente en mal de repères (Eden Lake). Et donc ce Harry Brown, parfaitement exempt de toute complaisance envers la répression infligée aux jeunes blanc-becs persécutant les habitants du quartier. Abordant sereinement et intelligemment son sujet controversé, le film de Barber est avant tout un vrai film de genre naviguant dans les eaux troubles d’Un Justicier Dans La Ville tout en conservant la maîtrise de son sujet par une réalisation soignée et un travail sur la lumière de toute beauté (superbe photo de Martin Ruhe). Sans doute que le film aurait trouvé grâce plus tôt en étant aussi caricatural et décérébré que Taken ou Banlieue 13 et sa suite.

Harry Brown
 

Ainsi, Harry Brown est un véritable anti-héros vengeur et vindicatif préférant une balle dans la tête au Kärcher pour régler les problèmes. Une attitude pour le moins radicale apte à choquer les pèlerins de la morale qui crieront plus volontiers au fascisme qu’ils ne discerneront le pouvoir cathartique de ce genre de fiction ou les conditions d’un tel passage à l’acte.
Ancien officier de l’armée britannique ayant notamment servi en Irlande du Nord, Harry Brown ne vit pas des jours heureux dans le quartier où il partage ses journées entre parties d’échec avec son ami Léonard dans le pub du coin et les visites à sa femme clouée sur son lit d’hôpital. Déjà transi de solitude – Barber s’ingénie à nous montrer Harry isolé dans un environnement intime (le lit conjugal) ou public (les rues traversées) désertés, pour souligner qu’il est déjà un être à part – tout bascule lorsque sa femme disparaît littéralement (son lit est vide et la chambre déjà en train d’être nettoyée), sans que personne ne vienne soutenir son cri muet, puis lorsque Léonard se fait tuer par les jeunes qui le persécutaient. Dès lors que la police piétine et se montre incapable d’incarcérer les coupables qu’elle connaît, Harry Brown se lance dans une croisade purificatrice.

Cette structure commune et quasi immuable aux vigilante movies, où la descente aux enfers est en corrélation avec la montée en puissance de la violence, se pare ici d’un conflit générationnel tant d’un point de vue moral et social que des modes d’action et même des régimes d’images. Dans la séquence inaugurale, les jeunes "cailleras" mettant à mal cette banlieue populaire de Londres sont filmées par l’objectif mobile d’un téléphone portable, donnant une image granuleuse et en vue subjective les montrant consommer de la drogue puis partir dans une chevauchée motorisée se terminant sous les roues d’un camion après avoir abattu gratuitement une jeune mère promenant son bébé dans un landau. Une entrée en matière nerveuse et agressive qui illustre et définit parfaitement la déviance et la cruauté d’une jeunesse en mal de repères, qui contraste avec la sombre et froide détermination de Brown qui imprégnera le reste du métrage par le biais de cadres parfaitement ciselés.
L'un des énormes atout du film est un Michael Caine époustouflant en monolithe blessé dont Barber n’hésite pas à montrer les difficultés à accomplir sa basse œuvre en raison de réflexes et d’une condition physique naturellement émoussés par l’âge. Des déficiences qui seront près de causer sa perte à de multiples reprises sans pour autant le dissuader de poursuivre son action, la mort physique qui se dessine venant entériner la mort psychique d’une âme meurtrie par la fin de son monde.

Harry Brown
 

Harry Brown peut ainsi être envisagé comme le négatif parfait de Gran Torino, les valeurs à transmettre et l’ouverture aux autres étant ici remplacés par la perpétuation de la violence, le cloisonnement affectif et le repli sur soi. Et tandis que le héros du chef-d’œuvre d’Eastwood traduisait l’évolution de personnages antérieurs incarnés par l’acteur (L’Inspecteur Harry, Le Maître De Guerre, le flic vieillissant de La Relève) Harry Brown représente ni plus ni moins que le Jack Carter de La Loi Du Milieu de Mike Hodges, qui trente ans après assouvirait sa soif de justice non plus au sein de la pègre londonienne mais dans ses bas-fonds. Les deux personnages pouvant être perçus comme le Hérault d’un même milieu modeste, une classe ouvrière se faisant autant baiser par les puissants que les voyous sans le sou.

Harry
Brown ne réjouit pas seulement par ses débordements violents et sanglants qui claquent comme un coup de feu dans la quiétude de la nuit ou son récit se déroulant sur fond d’affrontements urbains avec les forces de l’ordre (sans doute la partie la plus faiblarde) mais également pour le traitement cinégénique de cette descente en enfer. La longue séquence particulièrement glauque où Harry pénètre dans l’antre de deux junkies pour récupérer une arme s’apparente clairement au passage de plusieurs seuils menant au point de non retour. Le superbe travail sur la lumière et les ombres dissimulant des personnages qui en surgissent tels des apparitions spectrales est à ce titre particulièrement éloquent et accentue l’ambiance et l’aspect morbide du vieux justicier semant la mort sur le territoire de cadavres en sursis.
Comme ses plus illustres et récents prédécesseurs A Vif ou Death Sentence, Harry Brown ne promeut pas une justice expéditive comme unique moyen d’action mais montre au contraire l’inanité de cet ultime recours semblant rétablir (provisoirement ?) l’ordre et plongeant ses pratiquants dans des abîmes de solitude. Impossible d’en retirer le moindre soulagement ou satisfaction. Et encore moins la moindre rédemption.

7/10
HARRY BROWN

Réalisateur : Daniel Barber
Scénario : Gary Young
Production : Matthew Vaughn, Kris Thyeker, Tim Smith, Matthew Brown…
Photo : Martin Ruhe
Montage : Joe Walker

Bande originale : Ruth Barret & Martin Phillips
Origine : Grande-Bretagne

Durée : 1H43

Sortie française : 12 janvier 2011




   

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