Flandres

La guerre à deux ans

Affiche Flandres

Un jeune fermier visiblement un peu simple d'esprit marche dans ses champs du nord de la France. Il s'arrête. Il marche. Il voit un ami. Ils discutent. Puis le jeune fermier marche de nouveau.

Il rencontre une amie qui lui propose d'aller faire "leur tour". Cut : les pieds dans la boue, la copine relève sa jupe, découvre son sexe, s'allonge parterre, un peu sur de la paille, un peu sur de la boue, le fermier s'allonge sur elle, vingt-cinq secondes, puis se retire.

Ces cinq premières minutes de
Flandres sont un condensé du cinéma de Bruno Dumont, synthèse glaciale d'une œuvre qui agite ses détracteurs comme ses défenseurs. Le cinéma de Bruno Dumont, c'est avant tout une histoire qui confine à l'épure d'un rébus afin de laisser libre cours à des acteurs "authentiques" (comprendre : amateurs) d'achever leur sublimation lors de scènes de sexe non simulé. Cette apparente simplicité discursive alliée à un mépris assumé du peuple et de l'individu fait des films de Dumont des incitations au scandale (mais jamais pour son mépris du peuple et de l'individu) et de bons alibis à l'offuscation attendue et entendue.

Flandres
Les personnages de Bruno Dumont sont demeurés, du flic au docteur en passant par le photographe, personne n'échappe à la misanthropie de l'auteur. Un auteur qui se laisse facilement vagabonder dans les tics du pensum très conscient de lui-même, incitant par exemple ses acteurs à improviser et suivre ses indications hors-champ, espérant vainement donner une impression de réalité vraie et rurale (ou pour afficher plus clairement son cynisme moqueur ?). Dans les films de Bruno Dumont, les personnages forniquent dans la boue, dans les étables, avec des enfants, ils violent, ils copulent dans des déserts, ils couchent, partout, tout le temps, de toutes les façons. Dans les films de Bruno Dumont, les femmes urinent en full frontal car la vérité de l'image se doit d'imposer des plans d'urologie. Dans les films de Bruno Dumont, le procédé scénique est d'un prévisible réconfortant : les personnages, lorsqu'ils n'urinent ou ne copulent point, marchent en plan rapproché, puis en plan très large, pour mieux saisir l'espace qui les entoure suppose-t-on, et comprendre ainsi qu'il leur reste beaucoup à parcourir... Dans les films de Bruno Dumont, le personnage central est plus attardé que les autres (qui ne sont pas très finauds non plus mais dans la logique dumontienne c'est normal car ils habitent à la campagne), et dans les films de Bruno Dumont, le héros regarde la fille qu'il aime se faire tringler par le ringard du coin.

Toutes ces figures, nous les trouvions déjà dans La Vie De Jésus, L'Humanité et dans une moindre mesure dans Twentynine Palms. Dans Flandres, Dumont les pousse à leur paroxysme, se sert de la guerre pour affirmer son dégoût de l'espèce humaine et, par extension, des spectateurs, son discours diégétique recoupant ses procédés filmiques. Et il a été dit l'an dernier que Bruno Dumont nous a proposé son film le plus "dérangeant et brutal", par lequel il a "cherché à régénérer l'horreur de la guerre". Pari gagné car une grande majorité fût à ce point dérangée qu'elle n'a pas voulu reconnaître dans Flandres un remake du Voyage Au Bout De L'Enfer de Cimino (le quotidien de gens de la campagne dans leur environnement familier avant d'être lâchés dans l'horreur, puis leur retour à la vie de tous les jours, traumatisés à jamais), et dans une moindre mesure du Outrages de De Palma.

Flandres
Toujours est-il que pour être "dérangé" (dans quel sens, au fait ?) au cinéma il est nécessaire de donner un minimum d'humanité et de chair aux protagonistes, qu'ils ne soient pas réduits à des taureaux reproducteurs baisant à la moindre occasion (non simulée) sinon qu'elle émotion pourrait bien nous étreindre lors de ces fameuses scènes choc ? Scènes choc si prévisibles et tellement dans la tendance (le statisme pontifiant d'Haneke fait école) que la seule once de sens de ces images provient d'un heureux hasard de tournage : le soldat désigné par la victime pour être émasculé était le seul à ne pas avoir pris part au viol. N'y voir aucune portée philosophique, cela n'est dû qu'à l'acteur qui a refusé de jouer le viol. Cela n'a pas empêché ses supporters de rester persuadés qu'il y a eu là un choix conscient de Dumont et en conséquence une habile réflexion métaphysique !

D'ailleurs il n'est pas aisé d'argumenter face à des provocateurs provocants comme Dumont. Que l'on aime ou que l'on déteste, cela revient au même, ils se sentiront quoi qu'il arrive flattés car dans le pire des cas ils vous répondront par l'expression consacrée : "C'est exactement ça que je recherche comme réactions". Ou comment expurger d'un revers de main toutes tentatives de critiques négatives, qui plus est en se les réappropriant comme des bons points ! On frôle à la fois le génie dialectique et l'auto-satisfaction constante.
La déshumanisation des personnages n'est pas en soi un défaut ; utilisée à bon escient elle permet de focaliser l'attention du spectateur sur le fond, d'autant plus lorsqu'il sied à la sensibilité de son auteur comme c'est ici le cas. Mais à partir du moment où cela devient redondant et systématique sans être justifié on plonge en pleine caricature, et l'indifférence imposée au spectateur (indifférence qui doit le mettre "mal à l'aise") perd de son intérêt à force de redondance gratuites (Cf. la violence subite qui mettait un terme à Twentynine Palms : le propos en avait-il besoin ?). De plus chez Dumont cette déshumanisation n'est pas un moyen mais une fin. Il faut croire que le réalisateur cherche (et réussit) à mettre mal à l'aise qui vient au cinéma prendre sa dose d'effroi empathique hebdomadaire afin de s'assurer d'être encore humain car "troublé" par ce qu'il se passe à l'écran, et de fait veut à tout prix justifier le sort des personnages pour raisonner ses affects qui, en théorie, ont tout de l'anomalie tant Dumont s'échine à annihiler les traces d'émotivité dans ses films.

Flandres

De fait, nous pourrions poser l'hypothèse d'un second degré fourbe et manipulateur de la part de l'auteur, hypothèse tout aussi probable que celle d'un premier degré terrifiant de par son manque total d'empathie et la fascination qu'exerce ce manque chez une large part de son public, qui n'est pas si éloigné d'un équivalent adulte des fans de torture porn. De plus l'idée d'élaborer avec un soin maniaque et une perfidie géniale des parodies ciselées au nanomètre est un moyen comme un autre d'apprécier l'œuvre de Bruno Dumont.
Puisqu'il faut soit adorer, soit détester, autant y chercher une autre finalité : votons pour du happening auto-parodique.


FLANDRES
Réalisation : Bruno Dumont
Scénario : Bruno Dumont 
Production : Rachid Bouchareb, Jean Bréhat, Muriel Merlin...
Photo : Yves Cape
Montage : Guy Lecorne
Origine : France
Durée : 1h31
Sortie française : 30 août 2006




   

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