Les archives McTiernan - Les studios

Rebelle

John McTiernan

La sortie du prochain épisode de la saga Die Hard, le numéro 5, cette fois-ci réalisé par John Moore est une excellente occasion de rouvrir la boîte à archives des interviews du créateur de John McClane. Et ici, on va s’intéresser à ses relations pour le moins conflictuelles avec les studios.


Lors de la promo de Piège De Cristal (L'Ecran Fantastique n° 97 - Octobre 1988), il semblait pourtant assez enclin à considérer avec une certaine mansuétude son rapport avec les studios : "Ce n’est pas plus difficile que de travailler pour n’importe quelle autre maison de production. Au moins, quand on travaille avec la Fox, on sait à quoi s’en tenir. Si le patron du studio est bon, on sait ce qu’il attend de nous. Je crois qu’il y a moins de politiques des studios qu’on veut bien le dire. Quand on sait qu’on va travailler pendant un certain temps pour un studio, on peut se concentrer plus facilement sur ce qu’on a à faire. Il y a évidemment des choses terrifiantes dans le travail dans un studio, mais c’est aussi vrai partout. En ce qui me concerne, en tous cas, l’expérience est positive."

Mais lorsqu’au cours de cette même interview est abordé un point particulier du tournage (la plasticage de la tour), il affine sa perspective et se montre beaucoup plus critique, déjà : "Bon, il faut faire attention et procéder par étape. (Petit sourire en coin). Vous travaillez pour une revue de cinéma, donc vos lecteurs savent tout ce qu’il faut savoir sur l’industrie du cinéma. Si vous veniez de la part d’un magazine pour gamines de treize ans, je vous répondrais : "Oh oui, c’était amusant, très marrant de faire sauter la baraque !" (rires). Ce qui était intéressant, c’est que le bâtiment appartenait à la Fox. Mais ce qu’on ne sait pas, c’est que la Fox ne se contente pas de faire du cinéma : c’est aussi une gigantesque entreprise immobilière ! Elle possède un quartier de Hollywood appelé Century City. Ça vaut des milliards de dollars. Tout ça a été construit sur les terrains du studio, qui rétrécissent au fur et à mesure qu’ils en vendent des morceaux. C’est triste à dire, mais le studio sert en quelque sorte de réserve à la société immobilière. Tout ce qui compte pour eux, c’est de savoir ce qu’ils vont vendre cette année, l’année prochaine et dans deux ans. Et en attendant, ils s’intitulent "Société de production".

Il y a donc un certain nombre de gens dans la compagnie qui ne s’intéressent qu’à la partie immobilière de l’affaire. Nous faisions un film, et nous traitions avec certaines personnes de la Fox, mais les responsables du secteur immobilier craignaient que nous n’endommagions quelque chose, à commencer par les bureaux. C’est ainsi que s’est instaurée peu à peu une guerre de commando dans les couloirs du studio, entre les responsables du département cinéma et les marchands de bien. Le département cinéma a passé tout l’hiver à se battre pour nous. Il a fallu des mois pour arriver à mettre tout le monde d’accord sur ce que nous pouvions faire et ce que nous n’avions pas le droit de faire. Vous voyez le genre. Les agents immobiliers voulaient essayer de nous faire mettre une montre Rolex dans le film, comme si c’était la chose la plus précieuse du monde (McTiernan parle maintenant avec l’accent BCBG de l’amant de la femme de Bruce Willis). Tout leur était bon pour nous faire prendre du retard. Ils auraient voulu que nous les prenions au sérieux, mais en même temps, ils nous posaient des conditions inacceptables. Par exemple : "Si vous faîtes rouler une voiture sur les marches de l’entrée principale, vous risquez d’abîmer le marbre". Bon. C’était du marbre d’Espagne, introuvable aux États-Unis, et nous avons protégé les marches. Mais ils ne s’en sont pas tenus là : "D’accord, mais si vous tâchez les marches ?". Parce qu’il ne fallait pas que les marches soient sales, le lundi matin, quand les gens venaient travailler dans la tour ! Nous avons donc fait venir du marbre d’Espagne, par avion, pour parer à toute éventualité.
Et voilà comment nous avons fait voyager de vulgaires cailloux en première classe pour le cas où il y aurait eu une petite tâche sur l’escalier de la tour. Ils faisaient ça parce qu’ils savaient pertinemment que ça allait coûter une fortune, et qu’ils espéraient que nous y renoncerions. Comme ça, ils pourraient toujours dire qu’ils avaient fait preuve de sagesse. Ils étaient d’accord, bien sûr, mais ils prenaient leurs précautions. C’était l’horreur.

Ça a duré comme ça tout l’hiver. S’il y a un enfer sur Terre, il doit ressembler à un poste de responsable film de la Fox ! Je dois rendre hommage à certains d’entre eux, comme M. Goldberg ou M. Diller. Ils ont été merveilleux. Ils ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour nous aider. Et ils devaient avoir des choses autrement plus importantes à faire que d’assister à des réunions au sujet des marches de cette satanée tour ! M. Diller n’est pas seulement le patron de la production des films : il dirige également une chaîne de télévision et bien d’autres choses. Penser qu’il était obligé de perdre du temps avec ces inepties ! Les responsables du département cinéma ont été vraiment formidables pour nous.
"

Die Hard
Piège De Cristal


A l’occasion de la promotion de Basic, lors d’une interview pour AlloCiné menée par Camille Joubert, il persistera dans son agacement et son regret de voir les studios s’éloigner finalement du rôle pour lequel ils sont normalement prédisposés, préférant s’atteler à des considérations mercantiles : "Aujourd'hui, les politiciens ont davantage la mainmise sur les studios de production qu'auparavant. Ils ne sont en rien metteurs en scène, ce sont des managers, des dirigeants, ce qui est bien dommage. En dehors de cela, j'ignore s'il y a eu d'autres changements."
"Il existe en fait une gamme très diversifiée de petites entreprises présentes derrière les grandes maisons de production. Ce sont elles qui financent les films distribués par les studios. Cela s'explique par le fait que les dirigeants des studios ne veulent pas prendre le risque d'essuyer un éventuel échec. Par conséquent, ils ont externalisé tout ce stade décisionnel. Il leur reste uniquement à choisir parmi des films déjà entièrement préparés, avec une distribution, un financement...
J'ignore si la pratique est semblable en France, mais aux États-Unis, un supermarché ne vend pas, n'achète pas et ne possède pas de nourriture : il loue des emplacements sur ses gondoles aux entreprise qui fournissent cette nourriture. Mais, le magasin ne les a jamais achetées. Vous comprenez ? Le business du cinéma aujourd'hui ressemble quelque peu à ça aux Etats-Unis. Les grandes maisons de production ne créent plus de films, elles louent des systèmes de distribution. Par conséquent, de nombreuses décisions découlent directement de ce marché, au lieu d'être le résultat du choix d'un metteur en scène, doté d'une expérience en la matière, et qui dit : "Je pense que cela ferait un bon film". La nature de ce business est
considérablement faussée."

On ressent fortement par la suite son désenchantement, sa lassitude même : "Il y a plusieurs réalisateurs que j'apprécie beaucoup, qui ont tourné une ou deux grosses productions, et qui, par la suite, ont dit "Et puis, merde. Plus jamais. C'est complètement fou !". John Boorman, par exemple, ou George Miller qui a réalisé deux films hollywoodiens (Les Sorcieres D'Eastwick et Lorenzo, ndlr), avant de se dire "Plus jamais" et de retourner en Australie. Mais moi, je n'ai pas d'Australie où aller : j'ai grandi aux États-Unis, et je ne sais pas où aller. J'ai essayé de poursuivre mon travail de réalisateur hollywoodien bien plus longtemps que les cinéastes que je viens de citer. Je ne sais pas si j'ai eu raison..."

Il poursuit  ainsi dans Les Cahiers Du Cinéma n°577 :

"Tous les films sont des films de studios, d'une manière ou d'une autre, ils ont chacun leurs "stars". Quand vous proposez une idée à un producteur, il confie le projet à son "homme de chiffres" installé dans le bureau du fond, qui calcule le montant de recettes potentiel. Si le nombre est positif, c'est bon, s'il est négatif, tant pis pour vous ! On voit se faire aujourd'hui beaucoup plus de petits films, mais ils sont produits et financés selon le même système exactement qu'à Hollywood, à une échelle différente, c'est tout. Partout, il y a le petit homme dans le bureau du fond avec ses listes de chiffres !"

Last Action Hero
Last Action Hero


Dans le Starfix Next Gen n°8 pour la promo de Thomas Crown, il fait même preuve d’une profonde amertume et incompréhension face à des comportements artistiquement destructeurs :

"Et bien, vous avez dans la plupart des grands studios des exécutifs très ambitieux qui essaient toujours d'attirer l'attention sur eux. Et le moyen d'y parvenir est de chercher quelque problème que ce soit sur un film en tournage. S'ils reviennent du tournage en disant que tout va bien, ce n'est pas bon pour eux, pour leur carrière. Alors ils reviennent toujours en disant : "II y a un problème !". Si bien que l'organisation politique des grands studios conduit forcément à la destruction des films
Pour reprendre mon expression : vous devez composer avec l'Église. Si vous voulez continuer à travailler, ne crachez surtout pas à la figure du cardinal ! Par contre, lui a le droit de vous cracher à la figure. Et vous devez alors lui répondre : "Merci, votre éminence..." Peu importe ce qu'il y a dans un contrat.
Moi, par contrat, j'ai le "final cut" sur tous mes films, vous savez. Et pourtant... Hollywood ne connaît aucune règle. Ce qui est inscrit dans votre contrat n'a que peu d'importance. L'important c'est de savoir quel est votre pouvoir à ce moment précis. Stanley Kubrick pouvait avoir un contrat stipulant : "
le studio n'est pas autorisé à voir le film, le studio n'est pas autorisé à venir sur le plateau, le studio n'est pas autorisé à..." Peu importe. Les dirigeants du studio viendront de toute façon botter le cul de Stanley à n'importe quelle heure s'ils le souhaitent. Je le répète, ce qui est dans votre contrat n'a aucune importance.
Avez-vous vu le Napoléon de Stanley Kubrick ? Non ? Je me demande bien pourquoi ! (Rire cynique).

Je me mets moi-même dans l'embarras parce que je me bats. À chaque fois que je dois baiser la bague du cardinal, j'ai bien entendu livré bataille avant. D'autres baisent la bague et ferment leur gueule. J'ai déconné parfois, mon comportement d'irlandais m'a fait me mettre très en colère et je me suis fait rétamer. D'autres sont plus prudents. La presse pense souvent que certaines personnes sont totalement libres, alors qu'elles ne le sont pas. Elles n'en ont pas le pouvoir. Et pourtant, c'est ce qu'elles prétendent à la presse. Je me souviens de l’avant-première de Die Hard 3 à Los Angeles. II y avait un réalisateur, que je ne nommerai pas, qui ne s'est pointé qu'à cause de la presse et qui au final a fait plus d'interviews que moi ! II a passé une heure à répondre aux interviews, tout cela pendant la première du film d'un autre. C’est incroyable non ? Je n'ai pas pu m'empêcher de le suivre et de l’observer. Je n'en croyais pas mes yeux Je veux dire par là que certaines personnes sont très habiles avec la presse Plus que moi en tous cas. La presse est la partie centrale de l'industrie.
"

A La Poursuite D'Octobre Rouge
A La Poursuite D'Octobre Rouge


McT exprime ses regrets de ne pas être assez bon politicien. Ce qui lui aurait sans doute permis de tourner la séquelle d'Octobre Rouge qu’il désirait et pas renoncer devant un autre choix imposé (Cahiers Du Cinéma n°577) :
"Alec Baldwin et moi-même tenions vraiment à faire la suite d’Octobre Rouge. Un autre scénario possible circulait, mais, encore une fois, question de politique, certains décisionnaires avaient un intérêt financier à ce qu'un autre soit choisi à la place : Patriot Games. Le problème était que l'IRA était vue comme les "méchants". Alec et moi sommes d'origine irlandaise. Certains membres de ma famille ont eu, prononcées contre eux, des peines de mort avant qu'ils aient atteint l'âge de 14 ans, toute mon enfance, j'ai vu défiler pour les grandes fêtes des amis de la famille qui étaient les hommes les plus respectables qui soient, mais au-dessus desquels planait comme un secret.
Ce n'est qu'en voyant Michael Collins que j'ai compris : ces hommes avaient probablement été des assassins en 1916, et ma famille les avait recueillis. Il y avait le même genre de personnages dans la famille d'Alec. Ni lui ni moi n'éprouvons de sympathie pour l'IRA d'aujourd'hui, mais nous avons résisté à la façon trouble dont le sujet - notre héritage - était traité dans le script de Patriot Games. Les deux dirigeants du studio, Frank Mancuso et Ned Tanen, avaient quitté la Paramount à ce moment-là, leurs successeurs ne nous ont pas écoutés. Ils se sont débarrassés d'Alec. Alors je suis parti aussi. En fait, le sujet que nous aimions et voulions faire est celui qui a été traité dans le troisième épisode de Jack Ryan, Danger Immédiat.
"

En fait, c’est surtout de ne pas avoir bénéficié plus souvent d’un véritable soutien pour mener à bien ses projets qui lui fut le plus préjudiciable, notamment pour survivre dans ce milieu :
"Voici les deux choses dont vous avez besoin à Hollywood : de la crédibilité, et "a man in charge", un vrai bon producteur. Son étoile politique à lui doit être solide. C'était le cas lorsque j'ai fait A La Poursuite D'Octobre Rouge (1990), avec Ned Tanen, qui avait passé des années à Universal avant de diriger la production de la Paramount. Mes films qui ont marché sont ceux qui ont été faits avec une ligne claire de communication et de directions. En langage militaire, on appelle ça une unité de commandement. Il peut y avoir des intermédiaires, mais la ligne doit être claire et traçable. Sinon tout le monde commence à discuter, à s'engueuler. Mes films qui n'ont pas marché ont commencé à ne pas marcher à cet endroit-là, dès le début. A Hollywood, un film devient vite un véhicule occupé par des gens très ambitieux qui espèrent, montant en marche, devenir instantanément riches et célèbres. Le problème est que vous réalisez souvent les choses trop tard, quand il n'est plus temps de fuir. Une ou deux fois, j'ai réussi à m'enfuir à temps. La plupart du temps, on est seulement un bon soldat. "

Predator
Predator


McTiernan revient plus longuement sur la nécessité d’avoir à ses côtés un manager, un vrai patron, lors d’une interview pour HD Vision lors de la sortie de Basic :
"J’aurais rêvé de pouvoir établir une relation mentor / protégé ave un homme doué pour ces choses, capable de déblayer le terrain politique à ma place et qui soit en même temps un vrai homme de cinéma. C’est ce qui m’a manqué le plus cruellement. A chaque fois que, ponctuellement, j’ai eu ce type de relation, tout s’est passé comme sur des roulettes, comme avec Larry Gordon avec qui j’ai fait deux films (Predator, Piège De Cristal). Mais ce qui s’en est le plus rapproché, c’est sans doute la relation que j’ai pu entretenir avec Ned Tanen, quand même le beau-frère de Howard Hawks, et Franck Mancuso, tous les deux à l’époque de A La Poursuite D’Octobre Rouge. Malheureusement, Ned a quitté le business et Franck aussi, pendant un temps. On ne s’est retrouvé que sur Thomas Crown, un autre film qui s’est très passé pour moi. A chaque fois que mes films ont marché, aussi bien pendant leur confection que commercialement, j’avais un vrai boss qui était aussi un vrai "filmaker", un type capable de contrôler le contexte politique de la production, protéger le film, me protéger moi et me guider, m’éviter de commettre des erreurs stupides. Un homme d’expérience qui savait quelles bagarres valaient la peine d’être menées."

Dans cette même interview, il déclarera envier les metteurs en scène capables de ça : "Infiniment. Vous n’imaginez pas à quel point. Et aussi les guerriers féroces, qui ont l’énergie de lutter dans cette arène là. Prenez Jim Cameron. C’est un vrai fou, un maniaque. On dirait qu’il créé lui-même des circonstances extrêmes, apocalyptiques, comme pour mener la bataille de Stalingrad à chaque fois. Et en faisant toujours en sorte de la gagner. "

Lui-même malgré tout, est prêt à endosser ce rôle. Jusqu'à un certain point : "Je suis prêt à me salir les mains autant que nécessaire. Malheureusement, avec les studios, ce ne sont pas les mains qu’il faut se salir, mais les lèvres."

On ne pouvait pas mieux résumer la situation.




   

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