Tucker, Coppola, Lucas : destins croisés

Point break

Affiche Tucker

Rétrospectivement, il est étonnant de constater que les destins extraordinaires de Preston Tucker, Francis Ford Coppola et George Lucas partagent de troublantes similitudes. Et à quel point pour ce dernier, la production de Tucker réalisé par Coppola pourrait être envisagé comme le point de rupture avec sa vision idéaliste du cinéma.


Autrement dit, en 1988, rien ne laissait présager sa folie révisionniste l’amenant à dénaturer, avec une terrifiante régularité, son œuvre maîtresse. Même si les ewoks, Howard Le Canard, Labyrinthe et Willow ont pu légitimement instiller le doute quant à la pleine possession de ses capacités, à l’époque, Lucas restait encore attaché aux valeurs et vertus de l’indépendance d’esprit et de moyens : le système, il lui pissait à la raie (en se reportant à la critique de L’Attaque Des Clones de Rafik Djoumi dans le numéro 143 du Mad Movies de juillet 2002, on prend conscience que désormais il a changé de cible).

Cette liberté d’action, il la partage avec son ami Francis Ford Coppola dont le centre de production et de recherches pour jeunes metteurs en scène, l’American Zoetrope, fondé en 1969, produit les deux premiers films de Lucas, THX 1138 et American Graffiti. Un mini studio soutenu financièrement par la Warner mais qui s’effondre lorsque la compagnie se retire, ne trouvant pas l’ensemble assez commercial. Après bien des aléas, Coppola finit par tourner le film qui lui tenait à cœur depuis longtemps (depuis le jour de son enfance où son père, en 1947, l’emmena au salon de l’automobile de New York et où il fut fasciné par la Torpedo Tucker exposée) grâce à Lucas dont l’empire post-Star Wars commence à s’étendre qui produit Tucker (sous-titré "The Man And His Dream"), biopic de celui qui se considérait comme un imagineur, l’ingénieur automobile Preston Tucker.

Lucas et Coppola
 

"Nous savons tous ce que sera pour nous le dernier acte. Allongés sur un lit, nous prononcerons nos dernières paroles en regardant le plafond. Je veux pouvoir me dire à ce moment-là que j’ai vécu certaines aventures. Voilà comment je vois les choses. Et j’ai une préférence pour les histoires qui parlent de gens qui voient aussi les choses de cette façon, qui ont tenté le coup." Ainsi s’exprime Coppola dans l’encart de la preview que François Cognard a consacré à Tucker dans le numéro 64 de Starfix.

Chacun dans leur genre, Coppola et Tucker sont des visionnaires. Pas étonnant que le réalisateur s’intéresse à cette figure de l’industrie automobile. D’autant que comme Coppola des décennies plus tard, Tucker a eu maille à partir avec les garants du système qui, voyant d’un mauvais œil leur hégémonie remise en cause par le rêve d’un seul, mirent tout en œuvre pour le faire tomber. Quand Tucker lança, à la fin des années 40, un modèle de voiture familiale à la portée de tous, les trois places fortes de Detroit, Chrysler, Ford et General Motors, se liguèrent dans une vaste campagne de dénigrement qui fit son effet. Le prototype révolutionnaire (tant esthétiquement, techniquement qu’économiquement) ne put être dupliqué qu’à une cinquantaine d’exemplaires. Coppola réussit à matérialiser ce rêve presque autobiographique grâce à Lucas qui retrouvait là une certaine proximité d’esprit avec le constructeur : "Je gagne ma vie en transformant des idées, des visions, en réalité. Et je m’intéresse tout particulièrement à tous ceux qui s’opposent aux autorités en place - toujours très réticentes face à la nouveauté et à l’originalité – et qui parviennent à les convaincre de la nécessité de leur projet."
"La façon qu’il avait de promouvoir sa voiture pouvait sembler malhonnête, mais, à mon avis, cela ressemblait plus à un excès d’enthousiasme, même s’il faut reconnaître que c’est une erreur qui lui a coûté cher. En fait, ses méthodes sont monnaie courante dans l’industrie du cinéma. Tous mes films, y compris American Graffiti et La Guerre Des Etoiles, ont été à l’origine jugés "non commerciaux" ; personne ne voulait les produire. Aussi essaie-t-on souvent de convaincre des executives que le scénario qu’on leur propose est vraiment de l’or en barre quand bien évidemment ce n’est pas le cas. Mais rien ne peut se faire si l’on ne procède pas de cette manière." Propos tirés d’un autre encart du même article de François Cognard.

Tucker
 

Lucas qui revendiquait le droit à l’échec, qui rejetait toute vision mercantile. Ainsi, à propos des critiques ayant plombées son Howard Le Canard : "Les médias sont obsédés par l’aspect matériel des choses. C’est une vision d’adolescent que celle qui consiste à croire que tout tourne autour de l’argent et que la seule et unique question est de savoir si un film sera ou non un succès. Et puis, il y a ce mythe qui voudrait que j’aie dans la tête la formule secrète pour faire des films à succès. Mais je ne sais pas faire et je ne fais pas des films à succès ; je fais des films qui m’intéressent, et certains deviennent des succès, d’autres non. Evidemment, je souhaite toujours qu’un film fasse du bénéfice mais cette considération n’est jamais le point de départ d’un film. C’est drôle d’ailleurs, cet intérêt de la presse pour ces questions, parce que ni pour moi, ni pour la plupart de mes amis, ce ne sont des questions primordiales."
Tucker
fut un échec au box-office américain. Pour une mise de 24 millions de dollars, le film en rapporte un peu plus de 19 millions. Et si Lucas déclare que cet aspect là a finalement peu d’importance, on ne peut s’empêcher de penser que la tiède réception d’une histoire qui tenait particulièrement à cœur les deux amis cinéastes l’a sans doute touché plus qu’il ne l’envisageait. Ainsi, il semble que hormis par l’entremise de Star Wars, Lucas soit incapable de toucher les spectateurs ou de se faire aimer. Car ce qui a particulièrement motivé Lucas dans cette histoire, c’est le caractère idéaliste de Tucker et de Coppola qui transparaît et dans lequel il se reconnaît : "J’ai aimé avant tout cette idée que la réalisation ou l’échec d’une entreprise n’est pas ce qui compte vraiment. Ce qui importe, c’est que les idées continuent à vivre, c’est que l’on puisse garder sa créativité. Tel est le message du film : persévérez, ne renoncez pas à vos rêves. Continuez. Peut être les choses se passeront-elles mieux la prochaine fois."

Avec Tucker, Lucas a peut être enterré ses dernières illusions de s’extirper de cette galaxie lointaine qui, telle un trou noir, semble avoir absorbé ses aspirations, ses rêves. Les éditions spéciales, la prélogie, les modifications incessantes apportées à la saga ont définitivement entérinées son pétage de plomb intégral. Un processus inconscient, long et douloureux dont Tucker n’est sans doute pas la moindre des causes.




   

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